Seize. Caleçon Calvin Klein, boucle d'oreille en or, lunettes de soleil Ray Ban. Le cul posé sur le transat, là en face de la piscine et du mini-jacuzzi qui conçoit des bu-bulles depuis minimum deux heures et demi. Deux heures qu'un p'tit prince se dore la pilule en matant le dit bain à remous. Rien d'autre à foutre. En même temps, 'faut dire qu'il lui a toujours trouvé un côté érotique à cet engin. Tu t'imagines quand même pas que c'est très catholique, des gens qui trouvent du plaisir à se brûler limite la peau, soit-disant pour se relaxer. Ils ont même ajouté des bulles genre « vieeens, on est bien ici ! regarde y'a même des bubulles pour te rassurer. » t'entres et là bim, coup de fouet sur les tétons. Des masochistes ouais. N'empêche que ça le fascine le p'tit prince, ça lui donne même des idées. Trois heures et quart, enfin. Sergio débarque pour s'occuper de la pelouse pendant que king Gauthier le nargue, un mojito à la main. Le gosse lui donne des ordres du style « roh mais c'est quoi ce travail ? tu vois pas qu'il reste des orties là-bas ? ouais là-bas, à côté du jacuzzi ouais. non, non, non arrache-les sans gants ce sera plus efficace. voilà, c'est bien. » Que c'est jouissif, de voir un être humain réduit à l'état d'animal obéissant. Le jardinier serait prêt à tout pour garder son job, 'faudrait pas que sa famille se retrouve à la rue, non. L'héritier Riverdale lui n'en a rien à branler, « pas sa vie, pas son problème » qu'il dit. Il ne fait pas que le dire, il le prouve aussi. Décollant son postérieur doré de la chaise longue, il se dirige nonchalamment vers l'objet de son attention. Pas Sergio non, lui fait partie du décor et bientôt il devra s'en trouver une autre, de pelouse à entretenir. Pas vers Sergio, vers le jacuzzi. L'ado déjà millionnaire à seize ans marque une pause avant d'entrer dans le bain à remous. Il gratifie le serviteur d'un regard dédaigneux, insolent, avant que son corps n'entre en contact avec l'eau bouillante. Doucement, il s’assoie de nouveau. Tournant le dos à son esclave, son jouet du jour, il patiente quelques minutes. Et puis lorsqu'il sent que le bon moment est arrivé, Gauthier se redresse et lance d'une voix autoritaire « eh Sergio ! arrête deux secondes c'que tu es en train de faire et ramène-toi par ici. il faut que je te montre un truc tout bonnement inacceptable. » L'expression préférée de son paternel. Tout lui semblait « inacceptable » et jamais à sa hauteur. Passons, le jardinier se pli aux ordres et vient voir ce que l'insupportable gamin a encore à lui réclamer. « au fond du jacuzzi, y'a un truc bizarre. j'sais pas ce que c'est mais j'compte sur toi pour le dégager vite fait bien fait. ah et non, je ne bouge pas moi. j'men tape que tu puisses pas l'attraper si je reste là, débrouille-toi un peu sale incapable ! » Sourire pervers aux lèvres, le prince est ravi de voir que son plan se déroule sans encombre. Sergio se baisse légèrement pour pouvoir apercevoir la chose qu'il doit « dégager ». Il tend à peine son bras qu'un imprévu perturbe sa tâche. Cet imprévu s'appelle Gauthier, sans surprise. La langue rosée du jeune homme s'enfonce entre les lèvres de l'asservi, violemment sans lui laisser le choix. Plouf, il l'entraîne avec lui dans le jacuzzi, pas le temps de réagir ni même de rompre le contact qui les unit. « qu-qu'est-ce que c'est que ce cirque ? » Boum, coup de poing dans la face de ce pauvre Sergio. Pas pauvre comme quelqu'un de qui on pourrait avoir pitié. Pauvre comme le moins-que-rien, le misérable qu'il est. Splash, un corps qui retombe dans un jacuzzi. Vite, un p'tit prince qui profite de la panique pour se démunir du bout de tissu hors de prix qui couvre ses attributs. « PAPAAA ! aide-moi putain, le jardinier a pété un câble il s'est jeté sur moi ! j'sais pas ce qu'il lui a prit, papa. » Le dernier acte se met finalement en place, la fin du petit jeu approche alors que Gauhier commence à peine à s'amuser. Il sort de la piscine en prenant bien soin de cacher ses parties avec les reste du boxer CK déchiré. Une larme qui coule de la joue d'un con bourré de fric, un père qui croit à toute sa comédie. « il... il m'a touché et-... » Quel beau menteur. Et l'autre abruti de géniteur qui comprend rien à ce qui lui arrive, qui capte pas que son fils n'est qu'un mythomane. Des heures plus tard, Sergio s'est fait viré et ça fait marrer notre p'tit prince. Il est quasi-mort de rire, par terre à se tenir les côtes. Puis il se reprend, choppe un stylo et un petit carnet. « Sergio, fait. » Une croix qui se dessine sur la photo du malheureux, une allégresse indescriptible dans le cœur de Riverdale. Son carnet retourne d'où il vient, dans un tiroir fermé à clef. Gauthier se plante ensuite devant le miroir et cherche désespérément l'expression la plus adaptée à la situation, à « l'épreuve » qu'il vient de vivre. Il s'dit qu'avec un peu de chance, s'il arrive à faire gober qu'il a besoin d'une compensation suite au choc, une Ferrari pourrait s'ajouter à sa collection.


Seize. Blahblahblah. Toujours la même chose, les même conneries. On parle d’événements qui se sont passés y'a plus de deux siècles, comme si ça pouvait avoir une quelconque importance au moment présent. Le prof, un trentenaire célibataire qui semble autant passionné que le prince par son cours, écrit, écrit, écrit. Gauthier soupire, soupire, soupire. Il s'fait chier comme pas possible. Comme souvent en fait. Et comme souvent, il met les voiles, il se casse sans dire au revoir. M. Braneegane ne semble pas l'avoir remarqué ou en tout cas, il ne s'en occupe pas. De toute façon, que pourrait-il dire ? Le vieux Riverdale est un des plus gros donateurs du lycée, ce qui autorise le rejeton à faire et dire ce qui lui plaît quand ça lui plaît. Mains dans les poches, il déambule dans les couloirs à la recherche d'une connerie à faire ou d'une bombe à serrer. Il aperçoit ses potes les bourgeois au loin, tous aussi branleurs et pétés de thune que lui. En accélérant le pas, le p'tit prince regarde pas où il va et là bim, boum. Bim, il rentre en plein dans une nénette. Boum, tout ses livres tombent au sol. « 'chier, tu peux pas faire attention quand tu marches ?! » Lol, c'est lui qui se plaint en plus. La miss ne réplique pas, trop occupée à ramasser ses affaires. Pas besoin d'être Einstein pour comprendre qu'elle est timide, qu'elle n'ose pas lui répondre. Sauf que Gauthier, c'pas Einstein. Lui il considère son silence comme de l'irrespect et il ne tolère pas. « eh, t'entends quand j'te parle ? » La blonde ne le regarde même pas, la colère monte progressivement. Il comprend qu'il va devoir attirer son attention, actuellement posée sur les bouquins éparpillés un peu partout. Elle veut en saisir un, Gauthier l'écrase. Il se retient malgré tout de lui broyer les doigts, parce qu'elle est mignonne et qu'elle fait peut-être partie de son cercle, de sa classe sociale, des Dieux du lycée. Trente secondes plus tard, en l'inspectant de plus près, il déduit que c'est tout le contraire. Le seul souvenir de l'avoir un moment trouvé à son goût lui laisse un goût d'amertume. Pas de son monde, donc pas de pitié. Le p'tit prince attrape les ouvrages qu'il reste. « c'est ça que tu veux hein ? bah viens les chercher gitane. » Son corps se dirige vers la poubelle la plus proche. Les livres découvrent leur nouveau foyer, entre les mouchoirs usagés et autres déchets du genre. Une flamme s'allume dans un couloir. Un gosse de riche qui fout le feu aux trésors d'une pauvre intello, d'un déchet de la société.  Encore un petit jeu qui lui fait passer le temps. Des larmes sur un joli visage. « oh bah qu'est-ce qu'elle a Blondie ? me dis pas que c'est les seuls que t'auras de l'année entière ? roh, c'est balot. dépêche-toi de les récupérer alors, t'as pas beaucoup de temps. regarde ils partent déjà en fumée. » Éclat de rire cruel d'un gamin. Éclat en sanglots tragique d'une gamine. Elle court vers la poubelle et tente de récupérer ce qui lui appartenait, quitte à se brûler. Pendant que Gauthier la prend en photo direction FB, twitter et insta histoire de l'afficher. Ses potes au cœur de pierre, habillé de paillettes, ricanent derrière. Le p'tit prince s'est trouvé un nouveau jouet pour animer ses journées.


Seize et demi. « L'empire Riverdale touche à sa fin en ce jour du six mai deux-milles treize, alors que le procès vient de s'achever. La partie adverse a prouvé que Luke Riverdale et plusieurs de ses employés étaient mêlés à des blanchissements d'argent ainsi que des placements illégaux à l'étranger. La fortune qu'ils ont amassée durant ces dernières années reviendra, dans les mois à venir, à l’État. » Une journaliste qui présente le JT. Un fond noir sur un écran plasma. De la rage dans les yeux du p'tit prince. Lui qui croyait être le roi de la manipulation, du mensonge, il se trompait. Son paternel le bat à plate couture. Riverdale, comment porter ce nom fièrement dorénavant ? Gauthier a bien essayé, pendant un temps, de défendre l'honneur de son père et du nom qui allait avec. Mais les faits sont les faits, le vieux est un escroc. Le prince lui en veut, comme si lui était un exemple de vertu. Justement, il s'dit que c'est de la faute de son daron, que c'est dans les gênes. Ordure de père en fils. Clac, une porte qui s'ouvre. En parlant du loup. « Fiston, il faut qu'on parle. » Fiston ? Depuis quand l'appelait-il comme ça ? Ah oui, depuis qu'il avait fait faillite. Comme si son vocabulaire était descendu d'un grade par la même occas'. Passant de noms princiers, à « fils » puis « fiston ». Et puis quoi ensuite, Alban pendant qu'on y est ? L'ex-héritier n'est pas d'humeur à parler. Alors comme d'habitude, il prend la fuite. Le vieux n'abandonne pourtant pas et le suit dans toute la villa. « Écoute, je sais que tu m'en veux et si j'avais le temps de tout t'expliquer je le ferais, mais ce n'est pas le cas. » Le temps lui est compté, première nouvelle. Ça intrigue le p'tit prince cette histoire. « T'as un cancer ? » Stoïque, le gamin n'est plus étonné de rien. Il décide d'écouter ce que l'autre a à lui dire, histoire qu'il lui lâche les fesses. « J'ai un vol à six heure demain matin, je pars. » Silence. « Mais ne t'en fais pas je- je ne vais pas y rester longtemps. Et puis tu auras toujours nos comptes et les employés pour s'occuper de toi. » Silence. « Gauthier... » Le père avance d'un pas. Le fils recule de deux. « Où tu vas exactement ? » Le regard vide, il fixe son paternel droit dans les yeux. Ce dernier détourne rapidement la tête, comme pour indiquer qu'il s'apprête à mentir. « Pour ta sécurité, il vaut mieux que tu ne le saches pas. » C'en est trop pour le p'tit prince. Trop pour sa fierté, pour son orgueil. « Tu te casses du jour au lendemain et tu veux même pas me dire où ? Tu t'fous de moi c'est ça ? Et pourquoi j'devrais rester ici, j'en ai rien à carrer du fric ou des serviteurs ! » Mensonge. A croire que c'est effectivement dans les gênes des Riverdale. Gauthier a toujours vécu dans une bulle dorée, dans un cocon. Le faire vivre hors du luxe serait comme faire voler un oisillon qui vient de naître. Il s'écraserait et mourrait. Après coup, lorsqu'il comprend cela, le gamin capricieux se calme. Il est parfaitement conscient qu'on lui cache quelque chose, mais n'a pas d'autre choix que de laisser faire. De toute manière ce n'est pas comme si lui et Luke avaient un lien fusionnel, loin de là. C'était avec sa mère ça, jamais avec son paternel. Jamais. Ce qui le fait chier Gauthier, c'est qu'on l'ai eu à son propre jeu, qu'on l'ai trompé. Qu'on le mette au pied du mur sans lui demander son avis. Mais au fond, du moment que sa petite bulle dorée n'explose pas, c'est l'essentiel non ?


« Désolé, mais votre carte a été refusé monsieur. » Le visage du p'tit prince se fige lorsque sa black card est refusée pour la troisième fois. Il croit d'abord à une simple erreur, et puis ensuite... Ensuite ça lui fait froid dans le dos, d'imaginer une seule seconde sa vie sans revenus astronomiques. (…) Gauthier avance, s'enfonçant un peu plus dans la neige à chaque pas, seul. Tout seul. Il déteste la neige, l'hiver en général. Pas à cause du froid ou du gèle, mais à cause de ce paysage excessivement blanc. Ça lui évoque trop de pureté, de naïveté, de gentillesse, de conneries. Sur le chemin de la banque, une hantise ne le quitte pas et ne fait que grandir. Il flippe comme pas possible qu'on puisse lui enlever tout ce qu'il a toujours eu, qu'on fasse éclater son monde hollywoodien pour le remplacer par un cauchemar discount. Milles questions tournent dans sa tête sans jamais trouver de réponse. « J'voudrais vérifier mes comptes. » Dix minutes plus tard, le gosse manque de s'écrouler. « Comptes gelés, bloqués par votre père. » L'enfoiré.


Dix-sept. Adieu Silicon Valley, bonjour San Francisco. Dégoûté, le p'tit prince n'a rien pu faire pour empêcher les huissiers de le déposséder de pratiquement tout ses biens. Heureusement pour lui, quelques centaines de dollars en liquide étaient cachés dans un tiroir, à côté du carnet recensant ses victimes. Chance qui tourne rapidement au désastre puisque le jeune Riverdale se prend toujours pour un riche. Le pauvre ne sait pas se gérer lui-même, encore moins son budget. Quand on préfère claquer sa thune dans des fringues de marque pour faire croire qu'on est encore dans la team money, money, 'faut pas s'étonner de crever de faim derrière. Il lui arrive souvent de sauter des repas, de demander un délai supplémentaire à sa proprio' le temps de trouver de quoi payer le loyer. Gauthier survit. Gauthier n'a pas le choix et ça l'emmerde. Gauthier est forcé de taffer au KFC, de récurer les toilettes, de faire partie de la même classe sociale que les gens qu'il méprisait. Mais apparemment, il en faudra plus que ça pour que le gosse comprenne qu'il est dans la dèche. Que si la moitié de ses « amis » ne lui adressent plus la parole, c'est parce qu'il porte les mêmes fringues depuis un mois. Et l'autre moitié ? Supporter Gauthier aujourd'hui leur est devenu impossible, puisque ce dernier nourrit une jalousie intense, qui mue petit à petit en haine, envers ses ex-potes toujours aussi friqués. Un simple exemple, Rio. Rio et Gauthier, le duo inséparable, les frères « d'or et de sang ». En quelques mois, leur amitié s'est transformée en semblant de guerre infernale. L'un lance une remarque à l'autre sur sa situation financière, l'autre réplique par un coup de poing. Quand ils ne s'échangent pas des coups, ce sont avec des piques et des insultes qu'ils s'attaquent. Et puis y'a Blondie aussi, qu'est devenue sa voisine. Elle lui a dit son véritable prénom une fois, et puis il l'a oublié. La d'moiselle passe souvent voir Gauthier, surtout à la fin du mois quand elle sait qu'il ne lui reste rien. Ni pour payer son studio, ni pour se nourrir. Alors elle essaye de l'aider mais lui n'veut pas, trop de fierté. Parfois il l’envoi chier violemment en lui claquant la porte à la figure. D'autres quand il sent qu'il ne tiendra pas sans aide, il sonne chez la miss, le regard déviant. Et elle comprend.